Sésame, ouvre-toi !
Que faire pour que mon corps, nos corps mortels inscrits dans la lumière, nos corps enfermés côte à côte dans la solitude et la finitude, nos corps assis ou debout, évoluant ou non dans les espaces de nos quotidiennetés parviennent à sortir de leur bulle narcissique, à briser le vacarme du monde pour échanger le murmure de leurs pensées, partager la musique de leurs rêves ?
Que faire pour que mon corps, nos corps réussissent à laisser résonner l’invisible au sein du visible, aux franges de leur lumière ?
Les œuvres – peintures ou installations – de Sun Mi KIM sont hantées par cette question : comment, après avoir mis l’accent sur la division, la séparation, la coupure des corps, recoudre patiemment les membres épars, leur solitude et leur finitude, afin qu’une liaison ou une relation puisse être restaurée et que l’onde sonore courant sur les fils fragiles, renoue le contact et nous autorise dans la joie et le jeu, à participer à la création d’un monde, celui de notre insaisissable communauté ?
Que faire pour que la caverne platonicienne et la mille et unième nuit de notre chair, pour que l’écrin de nos pensées et de nos rêves s’ouvre au dehors, s’ouvre aux autres, à tous ceux que nous côtoyons chaque jour, tous les jours au hasard de la vie sans les rencontrer jamais ?
Que faire pour que la bouche d’ombre, la prison de l’âme s’ouvre par magie sans mot dire et offre la splendeur de ses trésors intérieurs tenus au secret de l’intime ? Pour que, par notre geste d’écartement et d’ouverture des œuvres exposées et installées pour nous, le mystère de notre inaliénable altérité puisse faire écho à celle de tous ces autres et que, solitaires, nous parvenions, tous ensemble, à nous faire solidaires ?
Dans le mutisme du visible, au fil de ses créations éminemment plastiques faites de peintures, d’objets, de couleurs, de figures, de matières et de filigranes, accrochées ou posées dans l’espace commun de nos pas éperdus, Sun Mi KIM ne cesse de questionner discrètement et humblement l’énigme à la fois ontologique et politique, existentielle et sociétale de la relation, de notre être ensemble…
Que faire sinon agir en se risquant à ouvrir effectivement ou à pénétrer mentalement les œuvres et en appeler aux autres, avoir recours à leur amical secours si ce risque s’avère au-dessus de nos forces, de nos craintes et de notre corps esseulé ?
L’art participatif de Sun Mi KIM prend, ici, tout son sens.
Que faire sinon tendre et retendre le fil ou les quarante fils, afin d’entendre le son des voix et le vol des paroles qui bruissent dans l’invu et infiltrent le silence, afin de répondre à l’autre et répondre de lui, afin de nous accorder à son attente alors qu’il ne parvient pas à déclore la caverne qu’il porte en lui ou celle que l’œuvre transporte en ses plis, s’opposant dès lors, à la laisser en souffrance ?
Comment ne pas découvrir, ainsi, que, pour Sun Mi KIM, l’œuvre se donne comme appel démocratique à la création s’adressant à l’intelligence vive et sensible des « spectateurs » ?
Contre les lettres mortes d’une communication informatisée et mondialisée, l’art de Sun Mi KIM ose espérer toucher au plus vrai de notre singularité, celle qui – comme le disait Lygia CLARK – doit faire passer de l’autisme à l’ « autrisme », en rappelant que la matérialité et la corporéité du monde restent encore garantes d’une jouissance du sens ne pouvant naître que de la sensation.
La beauté, celle des œuvres de Sun Mi KIM ne serait-elle point, ce qui, dans la lumière de l’art et des corps ne se voit pas mais s’écoute, se regarde et se caresse à fleur de visible, à fleur de peau ?
A cette beauté, Sésame, ouvre-moi !
Jacques COHEN
Professeur émérite à l’Université de Paris I
1er février 2007
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Open Sesame !
What to do that my body, our mortal bodies inscribed in light, enclosed side by side in solitude and finiteness, our bodies sitting or standing, moving or not in the spaces of our everyday lives manage to escape their narcissistic bubble, to break through the world’s din to exchange the murmurs of their thoughts, share the music of their dreams?
What to do that my body, our bodies let resonate the invisible from the bosom of the visible at their light’s threshold?
The works — paintings or installations— of Sun Mi KIM are haunted by this question: how, after having accented the divisions, the separation, the cutting of bodies, to patiently re-stitch their scattered members, their solitude and their finiteness, that a bond or a relation might be restored and that the wave of sound running on fragile threads, renews contact and allows us, in joy and play, to participate in the creation of a world, that of our elusive community?
What to do from the Platonic cavern and the thousandth and one night of our flesh, for the cage of our thoughts and dreams to open outwards, open to others, to all we meet each and every day as life happens without ever meeting them?
What to do that this mouth in shadow, this soul’s prison might open in wordless magic and offer the splendor of its interior treasures held in intimate secrecy? So that by our act of drawing open the works exposed and installed for us, the mystery of our inalienable otherness can echo that of all others and that, solitary, we succeed, all together, in finding solidarity?
In the muteness of the visible, throughout her eminently plastic creations made of paintings, objects, colors, figures, of matter and of filigree, hung or placed in the communal space of our frantic steps, Sun Mi KIM does not cease to discreetly and humbly question the enigma that is at the same time ontological and political, existential and societal of the relation, of our being together…
What to do but take the risk of opening effectively or to mentally penetrate the works and call out to others, having recourse to their friendly rescue if the risk proves beyond our powers, our fears and our forlorn bodies?
The participatory art of Sun Mi KIM derives, here, all its meaning.
What to do except draw tight again and again the thread or the forty threads, in order to hear the sound of the voices and the flight of words that rustle in the unseen and infiltrate the silence, in order to respond to another and stand for him, in order to attune ourselves to his need when he is unable to unseal the cavern he carries within himself or that of the work transported in his folds, henceforth opposed to leaving him suffer?
How then not to discover, that, for Sun Mi KIM, the work gives of itself as a democratic appeal to a creation addressed to the keen and sensitive intelligence of the “spectators”?
In contrast to the dead-letters of a computerized and globalized communication, the art of Sun Mi KIM dares to hope to touch what is truest in our singularity, that which, as Lygia CLARK said— must pass from autism to “otherism”, remembering that the material and the corporal of the world remain guarantors of the pleasures of the senses which can only be born of sensation.
Beauty, that of the works of Sun Mi KIM would not they simply be, that which, in the light of art and bodies don’t see, but rather listen to each other, regard and caress each other at the edge of the visible?
To this beauty, Sesame, open me !
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