Une aveuglante lumière

à propos de l’œuvre de Sun Mi Kim

 Éthéré et viscéral. Dense et évanescent. L’art de Sun Mi Kim fait plus qu’osciller entre ces deux pôles, il les réunit, les fusionne, nous invitant à une expérience empreinte de subtilité mais aussi d’énergie.

Avant de trouver son langage artistique d’aujourd’hui, Sun Mi Kim a expérimenté la performance, la photographie, l’art de l’installation afin d’aborder les thèmes qui la concernent au plus profond d’elle-même : les relations entre les êtres, l’espace et la séparation, ainsi que les dimensions cachées de la réalité.

Parler simplement de peinture au sujet de ses « tableaux » s’avère réducteur, car il fonctionne aussi comme des sculptures ou des installations, en ce sens que l’artiste les relie physiquement à l’espace où ils sont installés. En 1997, Sun Mi commence à travailler sur des panneaux qu’elle recouvre de nombreuses couches de peinture, certaines très colorées, avant d’enduire le tout d’une teinte blanchâtre. C’est un long et lent processus qui finit par être entièrement occultée mais confère à l’œuvre une densité et une présence certaine. Elle compare cela à la couche supérieure de l’épiderme qui enveloppe les tissus biologiques du corps humain ou encore à la terre ou au sable qui recouvrent d’innombrables couches sédimentaires.

Dans cette matière-lumière, Sun Mi incruste des fils blancs qu’elle dispose de manière à révéler ou indiquer une certaine topographie de l’espace, donnant à la surface monochrome une profondeur, une dimension supplémentaire. Lorsque ce travail est terminé, elle perce la toile à un endroit soigneusement choisi pour y nouer un fil de couleur rouge vif formant une boucle que l’on peut étirer de diverses manières. Ce fil tendu par des clous et dont le chromatisme tranche avec le reste de l’œuvre sert à créer des formes géométriques aléatoires qui sortent du cadre du tableau pour se déployer sur le mur.

Cette description du travail pourrait laisser penser qu’il s’agit là d’une pure approche formelle abstraite et géométrique, mais il n’en est rien. Il y a chez Sun Mi une volonté de tisser des liens, d’accueillir le spectateur en donnant à l’art une dimension participative mais aussi parfois ludique.

Quant à l’origine du travail, il s’agit en fait de la traduction plastique d’une expérience extrêmement profonde — à la fois traumatisante et initiatique —, vécue par l’artiste lorsque celle-ci était enfant. Âgée de six ans à peine, alors qu’elle se promenait dans la rue, Sun Mi fut renversée par une voiture.

Au moment de l’accident, Sun Mi fut projetée hors de son corps. Au début, dit-elle, elle perçut une lumière blanche aveuglante, une « hyper-lumière » où elle ressentait confusément la présence de nombreux êtres. Et quelques temps plus tard qu’il fallut revenir habiter ce corps et faire l’expérience de la souffrance physique. Pour cet enfant attachée à son lit, sans possibilité même de tourner la tête ou de bouger les mains, les heures duraient des jours, les jours des semaines. Et le cerveau qui tourne à plein régime.

Il faut imaginer la puissance de cette expérience pour comprendre le degré de motivation qui poussa ensuite Sun Mi à tenter de sortir de son corps pour se promener cette-fois ci dans le monde que nous connaissons. D’aucuns diront peut-être qu’il s’agit là d’expériences imaginaires et que tout se passait dans la tête de l’enfant, mais il y a trop de détails, de scènes précises vues par Sun Mi et décrites ensuite aux protagonistes pour accepter cette explication. Puis vint le temps de la guérison, de la libération. Et Sun Mi n’éprouva plus jamais le besoin de sortir de son corps. Seul demeurait le souvenir de ces expériences hors-normes qui la firent grandir plus vite et différemment de ses camarades. Aujourd’hui, artiste, elle donne forme à son vécu. C’est cet invisible qu’elle donne à voir, c’est ce que l’on pressent à travers la lumière dense de ses œuvres.

David Rosenberg

Paris, juillet 2017

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